Horlogerie Made in France : les montres françaises en pleine renaissance ?

Depuis maintenant la fin des années 1970, l’horlogerie française est en grande partie sinistrée. Les quelques rares acteurs de la montre et de l’horlogerie françaises qui ont survécu à la crise des années 1970 et 1980 (en 1974, Lip fermait son usine avec de terribles grèves qui ont marqué les esprits) font de nos jours encore vivre le patrimoine horloger de la France, malgré la concurrence des montres venues de Suisse.

Mais aujourd’hui, certains acteurs réveillent petit à petit la production française avec l’apparition de nouvelles marques, de véritables start-up. Partons donc découvrir dès maintenant l’horlogerie Made in France.

D’hier à aujourd’hui : tour d’horizon de l’horlogerie française

Une origine très ancienne

Depuis le Moyen-Age, la France est l’une des régions où s’est développée le plus rapidement l’horlogerie. Tout d’abord, ce furent des horloges de tour qui ornaient cathédrales et beffrois, puis sur des pendules d’intérieur et assez rapidement sur des montres de poche.

Même si la révocation de l’édit de Nantes fit fuir de nombreux horlogers à Genève et dans le Jura Suisse, dès le XVIIIème siècle on assista au véritable âge d’or de l’horlogerie française. Les horlogers suisses accourent en France à la cour du roi (Frédéric Berthoud ou Louis-Abraham Breguet) et une bataille s’engage alors avec l’Angleterre au niveau des découvertes. D’autres grands horlogers se font un nom, comme Jean-Antoine Lepine ou Julien Le Roy.

Outre Paris, qui devient l’une des grandes capitales mondiales de l’horlogerie, on voit aussi apparaître une forte industrie en Franche-Comté, et en particulier à Besançon. La proximité du Jura Suisse joue pour beaucoup. C’est aussi dans cette région que sont fabriquées les fameuses horloges comtoises !

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L’industrialisation de l’horlogerie

C’est au cours du XIXe siècle que sont fondées quelques-unes des grandes marques françaises comme Lip ou Cartier, mais aussi Saint-Honoré. Cependant, l’industrie horlogère française va surtout se développer au cours du XXe siècle avec la naissance de quelques marques aujourd’hui encore connues comme Michel Herbelin, Pequignet, Yema ou Yonger & Bresson. Toutes sont nées en Franche-Comté, à Besançon, Charquemont ou encore Morbier.

L’époque des crises

Cependant, le XXe siècle est aussi celui des grosses crises qui vont marquer la France. Tout d’abord, dans les années 1930 suite à la crise de 1929, la Suisse va être durement touchée, et cela va avoir des répercussions sur la Franche-Comté. Il faudra attendre 1936 pour que la situation se rétablisse enfin.

Les années suivantes voient l’industrie repartir fortement avec l’apparition de nouvelles marques. Pourtant, la situation change rapidement, car dès le début des années 1970 une nouvelle crise arrive et elle va emporter la quasi-totalité de l’horlogerie mécanique française et même certaines grandes marques comme Lip (avec un impressionnant mouvement social qui marqua les esprits en 1973-1974) puis, quelques années plus tard, l’usine de Rhodia ferme ses portes en 1982 et Kelton-Timex connait à cette époque-là de grosses difficultés…

Un renouveau lent…

Depuis 1985, la région a dû panser ses plaies et l’industrie horlogère a réussi à résister dans certaines régions de la Franche-Comté. En effet, la production s’est petit à petit réorientée vers les productions plus haut-de-gamme, car la plupart des montres bas-de-gamme sont fabriquées en Asie.

Cependant, la Franche-Comté, qui dispose de la plus grande part des emplois et des entreprises du secteur, subit de plus en plus la concurrence de la Suisse toute proche. La main-d’œuvre qualifiée de France est attirée par les salaires suisses et passe chaque jour la frontière pour travailler dans la Confédération. De plus, le blason Swiss Made est un terrible concurrent pour l’industrie française.

Aujourd’hui la région de Besançon s’est spécialisée dans la recherche horlogère et la microtechnique. La région dispose d’écoles et de centres de recherche, mais aussi de nombreuses entreprises. Près d’une centaine d’établissements emploie environ 2000 employés. Les grandes entreprises des secteurs sont Maty, Cheval frères SAS, Michel Herbelin, Pequignet, SMB horlogerie, Fraisen, Breitling Besançon ou Yema.

On trouve aussi une multitude de sous-traitants français (ou parfois suisses) qui travaillent juste à la frontière (côté français), principalement dans le département du Doubs. Les horlogers suisses utilisent ces entreprises pour obtenir des productions à moindre coût qu’en Suisse.

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Les piliers de l’industrie française

Aujourd’hui, l’industrie française ne dispose plus beaucoup de grosses têtes d’affiches comme avant. Les principaux horlogers du secteur sont aujourd’hui Michel Herbelin, Pequignet, Lip, sans oublier les grands acteurs du luxe comme Cartier, Channel, Boucheron, etc. Cependant, il faut faire attention, car ces marques qui mettent en avant le Made in France utilisent pour la plupart des composants suisses ou asiatiques. Certains produisent même leurs montres dans d’autres pays qu’en France…

Michel Herbelin

Popularisé grâce à Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement Productif et chantre du Made in France (voir ici), Michel Herbelin propose une belle gamme de montres sportives ou classiques, pour homme ou pour femme assemblées en France, mais dont les principaux composants sont suisses (mouvement et boîtier), voire asiatiques. Après, vous pourrez profiter de belles montres pour un tarif entre 300 et plus de mille euros.

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Lip

Marque très connue en France, Lip est aussi restée dans les mémoires comme une terrible débâcle sociale. Pourtant, la marque est revenue et aujourd’hui elle met en avant sa production Made in France à Besançon (plus d’infos sur cette page). Même si elle ne produit pas en France, elle assemble des pièces provenant de différents pays et dont le mouvement vient de France ! L’avantage est que les montres de cette marque sont très accessibles avec des prix entre 150 et 700 euros.

Pequignet

La marque française s’est spécialisée dans les productions assez haut-de-gamme. C’est donc en 2010 qu’elle se lance dans une nouvelle aventure en développant son propre mouvement automatique Made in France, le Calibre Royal. Véritable réussite technologique, le mouvement a été encensé par la presse. La marque en profite alors pour sortir ses collections Royale. Malheureusement, les coûts du développement et les problèmes de fiabilité au début ont emmené la marque vers la faillite. Sauvée par deux investisseurs, ces derniers ont essayé de relever la marque, malheureusement ce spécialiste des montres françaises a été placé en liquidation judiciaire le 30 novembre 2016. Une grande perte pour l’horlogerie française…

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D’autres acteurs bien implantés

Ce ne sont pas les seules marques, car il en existe bien d’autres : MAT, Charlie Watch, Briston, Poiray ou encore Saint Honoré, qui assemblent une partie de leurs montres en France.

Une nouvelle génération arrive

Après plusieurs années, voire décennies, sans nouveau projet horloger en France, la tendance semble petit à petit s’inverser. En effet, quelques nouvelles maisons horlogères sont apparues ces dernières années avec comme projet de faire du Made in France.

Lornet

C’est un peu l’un des derniers nés de l’industrie horlogère francophone. Lornet a démarré son aventure en 2014 grâce à l’idée d’un certain Anthony Simao, horloger-constructeur, et le modèle fut présenté en novembre 2016. Il s’est ensuite allié à Mikael Bourgeois, le designer, et Benoît Monnet, le marketeur, pour concevoir une montre bien particulière, car fabriquée à 80% en France (ce qui lui permet d’avoir le prestigieux Origine France Garantie) !

Cela faisait plus de 40 ans, lorsque la dernière Lip sortit des usines de Besançon, qu’une montre fut véritablement fabriquée, et pas seulement assemblée, dans l’Hexagone. Pour cela, la marque fait appel à des sous-traitants français, elle a aussi conçu et fabriqué son propre mouvement LA-01. Cela permet d’offrir à la clientèle un garde-temps de qualité, au design moderne avec un boîtier en tambour. On note aussi la présence d’un cadran d’une grande transparence qui permet d’admirer le calibre automatique.

Dans le détail, la marque, qui emploie aujourd’hui 10 personnes, fait travailler plusieurs acteurs locaux de Besançon (Doubs), Cramans (Jura), Orchamps Viennes (Doubs) et Morteau (Doubs). La boîte (Créatech), les couronnes (Cheval Frères), le laquage (Cheval Frères), le bracelet en alligator (Créations Perrin), le verre saphir (Verlux) ou les aiguilles (La Pratique) viennent de France. Quelques éléments viennent de Chine, alors que 3 éléments du mouvement viennent de Suisse (le barillet, l’inverseur et l’échappement), car ils ne sont plus fabriqués en France.

Pour le prix, il vous faudra compter pour 3 900 euros pour acheter cette très belle montre fabriquée en France.

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D’autres projets en route…

Quelques autres projets horlogers mettant en avant le Made in France sont en train de voir le jour ou bien viennent de sortir.

On trouve notamment la nouvelle société horlogère française Phenomen, qui devrait proposer d’ici quelques temps une montre haut-de-gamme française. La vieille société Humbert-Droz propose cette année une montre, la HD3, qui est équipée d’un ancien mouvement fabriqué sur le territoire français. L’objectif d’Humbert-Droz est aussi de pouvoir proposer dans un avenir assez proche son propre mouvement mécanique.

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Pour conclure, l’horlogerie Made in France est peut-être à un tournant de son histoire. Après plusieurs décennies de marasme, la situation semble s’arranger avec l’apparition de nouveaux acteurs ou le rapatriement d’une partie de la production de certains acteurs. Certes, la triste liquidation de Pequignet (une très belle marque que j’aime beaucoup) est regrettable, mais en face d’autres comme Lornet apportent des nouveautés.

Aujourd’hui, nain au niveau horloger, la France sert surtout de sous-traitant pour la Suisse. Cependant, la France qui dispose d’une véritable image dans le luxe, devrait pouvoir réussir de nouveau à s’imposer dans ce domaine qui fut longtemps l’une de ses spécialités. L’Allemagne, à l’histoire horlogère bien moins garnie, a bien réussi en seulement quelques décennies (depuis 1990) à refaire revivre des grands noms de la haute horlogerie comme Glashütte Original et A. Lange & Söhne, mais aussi d’autres acteurs moins haut-de-gamme comme Meistersinger ou Junghans. Peut-être donc une inspiration pour le Made in France…