Machine Anticythère : de l’antiquité à aujourd’hui

La machine d’Anticythère est sans aucun doute l’un des mécanismes les plus intéressants que l’on puisse étudier en archéologie, et sa découverte a bouleversé de nombreuses connaissances que nous avions en science mécanique. En effet, il y a plus de 2000 ans, une civilisation sans doute grecque – car le mécanisme a été retrouvé sur une épave près de l’île d’Anticythère dans le sud du Péloponnèse – avait conçu un calculateur de position astronomique avec des engrenages ! Il s’agit alors sans doute de l’un des premiers mécanismes d’horlogerie existants, près de 12 ou 13 siècles avant ce que l’on pensait, étonnant non ? Alors, petit focus sur ce mécanisme qui change notre vision du savoir des anciens Grecs !

Petite histoire sur la découverte de la machine

En 1900, des plongeurs pêcheurs d’éponges qui se trouvent près de la côte nord-est d’Anticythère découvrent un navire romain à une profondeur de 62 mètres et datant probablement du Ier siècle avant Jésus-Christ (-86 semble être la date la plus probable). Ils remontent de cette épave la main d’une statue en bronze. Les autorités grecques prévenues vont alors renflouer l’épave entre la fin 1900 et septembre 1901 et ils y trouveront de nombreuses statuettes de bronze et marbre (exposées dans le Musée National d’Archéologique d’Athènes), ainsi que des fragments d’un objet en bronze assez étonnant. Dès 1902, cet instrument intrigue de nombreux archéologues, car on distingue des roues dentées et des inscriptions qui montrent le Soleil et Vénus et qui laissent penser que cet objet sert pour l’astronomie. Cependant, on ne peut alors voir toute la complexité de cette machine et c’est seulement grâce aux scanners les plus modernes que l’on va découvrir ces dernières années plein d’informations sur ce mécanisme.

Cependant, l’origine de la machine est bien plus mystérieuse, car même si au début, la plupart des scientifiques travaillant sur le projet pensait qu’elle datait du Ier siècle, de nombreuses analyses identifient de plus en plus une origine plus ancienne, entre – 51 pour la plus récente à -250 avant J.C. De nombreuses personnes pourraient être à son origine, dont les célèbres Archimède de Syracuse ou l’un de ses disciples (au cours du IIIème siècle avant JC dans ce cas), Hipparque de Nicée (pendant le IIe siècle avant JC) ou Posidonios de Rhodes (entre le Ier et IIe siècle avant JC). Sa conception et sa fabrication auraient alors eu lieu soit à Syracuse, soit à Rhodes. La piste la plus probable est aujourd’hui une conception à Rhodes entre -100 et -150 avant JC.

Depuis la découverte de ce mécanisme, un autre à engrenages a été découvert sur le site archéologique d’Olbia en Sardaigne. Il serait fait en alliage de cuivre et comporterait des roues arrondies (alors que celle d’Anticythère a des dents triangulaires). Des sources antiques, dont des écrits de Cicéron, citent d’autres machines qui auraient existé.

Pièce de la machine d'Anticythère

La machine d’Anticythère, mais qu’est-ce-que c’est ?

Les chercheurs et archéologues du monde entier se sont donc intéressés à cette machine pendant tout le XXe et depuis le début du XXIe siècle, car elle va remettre en cause de nombreuses connaissances. En effet, on pensait que les premiers mécanismes avaient été construits plutôt aux alentours de l’an mille, alors lorsque l’on découvre cet objet et que certains chercheurs pensent qu’il s’agit d’un calculateur astronomique, cela remet beaucoup de choses en question.

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, divers travaux confirment qu’il s’agit d’un dispositif complexe avec une vingtaine de roues dentées, des axes, tambours et des cadrans et aiguilles. Il devait fonctionner grâce à une manivelle et pouvait par exemple indiquer un cycle lunaire utilisé dans l’antique Babylone. Dans les années 2000, l’astronome Mike Edmunds relance une étude grâce aux rayons X et, avec la participation des universités de Cardiff, d’Athènes et de Thessalonique, il détermine qu’il s’agit d’un appareil plus évolué que la plupart des astrolabes qui permet de décrire les mouvements solaires, lunaires et des planètes visibles à l’œil nu. Cette étude a aussi permis de dater la machine de la fin du IIe siècle avant notre ère.

Pour entrer plus dans les détails, la Machine était composée d’un châssis en bois d’une dimension de 340 x 180 x 90 mm. Le mécanisme disposait de roues dentées à engrenages en bronze, il en reste aujourd’hui 82 fragments rouillés qui comprennent plusieurs roues dentées et des inscriptions. Les engrenages étaient alors entraînés par une manivelle qui permettait de donner l’énergie au mécanisme.

Le mécanisme permettait ensuite d’afficher différentes informations dont :

  • Le cycle métonique (du nom de l’astronome grec Méton : il court sur 19 ans, soit 235 lunaisons)
  • Le cycle callipique (du nom de l’astronome grec Callipe : il court sur 76 ans, soit 940 lunaisons ou quatre cycles métoniques), en les corrigeant de leurs imprécisions
  • Le cycle de Saros (223 lunaisons sur un peu plus de 18 ans)
  • Le cycle Exeligmos (équivalent à trois cycles de Saros, soit 54 ans) qui servaient notamment à prédire les éclipses.

Fragment de la machine d'Anticythère

La montre Hublot Anticythère

Les études scientifiques faites entre 2005 et 2008 sur la machine vont intéresser Mathias Buttet, directeur fabrication et R&D dans la manufacture Hublot. Ce dernier veut alors rendre hommage à cette superbe oeuvre d’art mécanique de l’Antiquité. C’est alors en 2011 que l’horloger Hublot, connu pour ses modèles souvent extravagants, a créé une pièce reproduisant le mécanisme de la machine d’Anticythère pour une montre. C’est donc une grande première dans le monde de l’horlogerie, car c’est la première fois qu’un horloger s’inspire d’un objet archéologique et que cela se fasse en étroite collaboration avec les équipes scientifiques qui analysent la machine Anticythère.

On retrouve dans cette montre l’ensemble des fonctionnalités de son aînée, en ajoutant en plus la possibilité de donner l’heure avec une grande précision. Horlogers, ingénieurs et scientifiques ont donc travaillé ensemble pour comprendre le fonctionnement de ce mécanisme. Le résultat est au rendez-vous avec, dans seulement quelques centimètres cubes, un mouvement qui à l’époque était beaucoup plus gros.

Montre avec mécanisme d'Anticythère par Hublot

On trouve donc dans cette nouvelle montre un mouvement d’exception de 495 composants et 14 complications avec les heures et les minutes affichées au centre, un tourbillon 1 minute avec une cage à 6 heures et les véritables complications de la vénérable machine. Sur le recto, on a donc :

  • Le calendrier des jeux panhelléniques avec les différentes villes qui accueillaient ces jeux
  • Le calendrier égyptien (12 mois de 30 jours, avec des jours supplémentaires dits épagomènes)
  • La position de l’astre solaire dans les constellations du Zodiaque
  • Les phases de la Lune
  • L’année sidérale

Sur le verso du mouvement :

  • Le cycle callipique
  • Le cycle métonique
  • Le cycle de Saros
  • Le cycle exeligmos

Le mouvement alors conçu 2011 a été présenté au musée des Arts et Métiers à Paris, puis un autre au Musée National Archéologique d’Athènes, au même endroit qu’où est exposée la Machine d’Anticythère. Deux autres ont été produits. Dans cette exposition, on y retrouve un film 2D et 3D, ainsi qu’une explication et des plans de la nouvelle et de l’ancienne montres.

En plus de ce mouvement d’exception, Hublot a conçu en 2013 la montre Antikythera SunMoon qui reprend le principe de la machine, mais avec un mouvement moins compliqué (seulement 295 composants et 7 complications). Cette série limitée à 20 exemplaires propose alors seulement les complications en rapport avec le soleil et la lune (calendrier solaire, lunaire, ainsi que position sidérale des deux astres). Le mouvement est monté dans un impressionnant boîtier de forme carrée avec un cadran rond dedans.

Antikythera SunMoon